Nouvelliste du 20.10.07 - Notre-Dame d'Arolla

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arollablabla
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  Nouvelliste du 20.10.07 - Notre-Dame d'Arolla

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Notre-Dame d’Arolla
Si le val d’Hérens représente, pour nombre de citadins, une retraite aux confins du monde, alors le vallon d’Arolla est son ermitage. La route, étroite et tortueuse, qui y monte depuis les Haudères, commence par des lacets alarmants. On y bute forcément sur un kamikaze local descendant à tombeau ouvert, ou sur un Batave terrorisé montant si prudemment qu’il semble reculer. Mais si, par élégance et sagesse, vous avez choisi le car postal ou la marche, des scènes de création du monde se dévoileront peu à peu devant vos yeux. Roches erratiques, marais, champs de prêles, bosquets de conifères cachant des chalets anciens qui semblent, tels des champignons, avoir poussé directement sur leur humus… Au bord du torrent, l’hôtel de la Tza, fortin de bonne pierre, mélancolique et seul, évoque le tourisme altier des premières décennies de l’ère moderne. On y est accueilli avec modestie et simplicité.
Heureuses les familles, se dit-on, qui vivent dans ce luxe de dépouillement, d’air et de silence. Car il y en a. Côtoyant des exilés de la jungle urbaine, tel ce médecin polyglotte dont la bibliothèque, à 2000 mètres d’altitude, ferait pâlir bien des universitaires… Oui, Arolla, avec ses trois sites internet et son salon du livre de montagne, Arolla perché tout au sommet d’une vallée si consciente de son identité et de son histoire, fait penser à un phare de vie spirituelle à la porte des mers de glace.

Randonneurs, arrêtez-vous!
Arrivant au pas de Chèvre, qui donne sur le val des Dix, nous avions eu la surprise d’y découvrir, attachées aux garde-fous, des banderoles de drapeaux de prière claquant au vent. N’y avait-il, dans la région, que les déités d’Orient pour accompagner les marcheurs? Nous en parlions le lendemain, à l’épicerie du Rond-Point, avec Christophe Clivaz, lorsque l’enthousiaste animateur d’arolla.org nous a redirigés sur le sentier de la cabane Bertol, à la découverte de la «Vierge bleue».
C’est, à une heure et demie de marche de la station, une belle et grande statue de la Mère de Dieu, récemment restaurée, dont le manteau splendide se confond avec l’azur du ciel par les jours de grand beau. Elle domine et bénit la vallée du haut d’un éperon rocheux où il vaut mieux ne point s’aventurer. On l’a installée aux portes d’une galerie du complexe de pompage de la Dixence. A ses pieds, les contreforts de béton, aux voûtes en ogives, semblent l’ébauche abandonnée d’une cathédrale gothique.
On reste ébahi devant cette mise en scène spontanée. Cette figure protectrice domine une antique voie de passage. Non loin de là, à la faveur du recul des glaciers, on aurait retrouvé les vestiges d’une communication intense entre vallées voisines, à une époque où le climat était encore plus doux (M. Gore et les Nobel de la police climatique nous aideront-ils à coffrer les pollueurs responsables de ce gravissime réchauffement médiéval?).
Mais les voyageurs d’aujourd’hui, marcheurs de loisir et non plus de nécessité, ne semblent plus ressentir le besoin de marquer cette étape par une prière ou une offrande. Ni même, peut-être, de se demander ce que la Dame fait là…

Protectrice des hommes de peine
Madame Andrée Fauchère, mémoire de ces lieux, nous explique pourtant sa présence. Dans un poignant ouvrage (1), elle a raconté l’épopée, pas si lointaine, de ces hommes de la vallée qui, abandonnant la lumière et le grand air, sont devenus des Nibelungen. S’enfonçant dans les entrailles de la terre — siège traditionnel des démons et de l’épouvante —, ils ont creusé un véritable fleuve souterrain pour alimenter la Grande-Dixence. Ces efforts, ces peurs, racontés en mots simples, vous font monter les larmes aux yeux. Qu’auraient-ils fait, ces forçats volontaires, dans leur nuit, sans le réconfort de Celle à qui l’on voue son dernier souffle?
Et les visages hagards de ces Valaisans, avec leurs frères ouvriers venus de l’Italie voisine, m’ont aussitôt renvoyé à cette autre épopée de l’épuisement suprême: Une journée d’Ivan Denissovitch, de Soljénitsyne, monument du témoignage chrétien. Le travail béni des uns pour les générations futures; et le châtiment absurde des autres sous un ciel sans Dieu, sans espérance ni consolation. Dire que ces deux humanités se sont côtoyées à la même époque…
Voilà, entre autres, de quoi nous parle cette Vierge aérienne, patronne des hommes de peine. Cela ne mérite-t-il pas que l’on prélève à ses pieds une poignée de cailloux?

Slobodan Despot
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