Tout commence par la précieuse info d'un ami qui me dit avoir eu une vision étrange en faisant la mythique Haute Route Chamonix-Zermatt en ski de rando. Quelque part entre la Suisse et l'Italie, à proximité du Pigne d'Arolla (3796m), il aurait aperçu un téléski perdu en plin milieu de nulle part, desservant semble-t-il des pentes vierges à perte de vue. La description qu'il me fait de cette présumée "station" me laisse aussi rêveur que perplexe. Je pars donc à la recherche de ce spot inconnu, comme un aventurier partirait à la recherche d'un trésor perdu.
Pour accéder à Arolla, mieux vaut se lever tôt. Perdant progressivement en largeur ce qu'elle gagne en hauteur, la petite route aura le temps de vous mettre dans l'ambiance. Il n'en manque pas dans ce village de montagne perché à 2000 mètres d'altitude. Parmi la quarantaine d'habitants, on rencontre quelques personnages qui mériteraient à eux seuls le déplacement. C'est le cas de Dédé Anzévui, notre guide, qui nous accueille chaleureusement après avoir passé la nuit à déneiger les routes de la vallée. Véritable figure locale pouvant faire de l'ombre à n'importe quelle rock star, Dédé est l'un des pionniers du ski extrême. Un skieur visionnaire qui n'a pas attendu que le freeride soit un terme à la mode pour explorer la montagne en repoussant toujours plus loin les limites du ski : La face nord du Mt-Blanc de Cheillon ou encore la face nord du Cervin sont à son actif...
Avec sa passion des premiers jours, son incroyable connaissance du secteur et sa personnalité hors du commun, Dédé est un personnage attachant, à l'image de cette région qu'il aime tant. Il nous apprend beaucoup sur cette vallée, restée longtemps isolée. Enfin pas tout à fait, puisque le haut val d'Hérens a toujours été très proche du val d'Aoste voisin. Passant par le col Collon, les habitants d'Evolène partaient ainsi vendre leurs célèbres vaches d'Hérens sur le marché italien, où ils avaient un emplacement réservé. Les habitants de ces deux régions partagent d'ailleurs le même langage : le franco-provençal.
Aujourd'hui, cette vallée est la dernière région de Suisse romande où ce patois est encore une langue bien vivante, transmise de génération en génération, comme on transmet la sagesse et l'humilité des montagnards. Le franco-provençal est encore parlé naturellement par toutes les tranches d'âges, un phénomène unique sur le territoire helvétique. Cette langue, que vous entendrez forcément au détour d'une ruelle ou dans les cafés, est représentative de la grande fierté des Evolènards pour leur patrimoine et le respect de leurs traditions, et surtout pour leur fierté d'avoir su rester libres et indépendants.
Le Val d'Arolla est un petit havre de paix, où l'on peut encore prendre son temps. Et du temps, il vous en faudra si vous voulez explorer ce terrain de jeu sans limite pour tout ce que la montagne peut offrir en hiver : ski nordique, cascade de glace, raquette à neige, mais aussi freeride et ski de rando. La moindre activité prend une dimension particulière, tant le cadre s'impose dans toute sa beauté : des glaciers impressionnants et des sommets majestueux qui ont pour nom Mont Collon, Pigne d'Arolla, Aiguilles Rouges, Aiguille de la Tsa, Dent Blanche, Mont Blanc de Cheillon.
Zéro limite.
Ici, le temps semble s'être arrêté pour l'éternité. A peine si l'homme s'est permis d'installer quelques infrastructures, avec intelligence, pour ne proposer que l'essentiel. En l'occurence, deux longs téléskis qui se suivent, permettant de se rapporocher de la barre des 3000 mètres en quelques minutes, offrant ainsi un point de départ stratégique pour une multitude de randonnées skis aux pieds.
La petite station d'Arolla propose donc une tout autre approche de la montagne, puisque les remontées semblent conçues pour mieux s'en éloigner... Depui le sommet de la station, il n'y a qu'à choisir sa direction: les possibilités s'étendent à perte de vue, sur 360 degrés. Rien que par gravité, il y a déjà de quoi explorer de nombreux itinéraires à la virginité bien insolente. Mais il serait dommage d'en rester là, puisqu'avec une paire de peaux, on démultiplie encore le potentiel du spot. Et si vos désirs de grands espaces ne sont toujours pas comblés, sachez qu'Arolla est le camp de base de nombreuses classiques du ski de rando, à l'image de la pointe de Vouasson ou du Pigne d'Arolla.
Arolla est d'ailleurs le point de départ ou de passage de la Patrouille des glaciers, la célèbre course de ski-alpinisme qui réunit chaque année plus de 3000 participants, pour un parcours partant de Zermatt ou d'Arolla, et se terminant à Verbier.
Au bout de quelques jours passés sur les hauteurs de ce petit paradis, on comprend mieux pourquoi il va être très dur de partir. Nous avons vécu ici une expérience dépassant très largement le cadre individualiste de nos passion respectives, pour en retirer la richesse de toute une région. Si on n'atterrit pas à Arolla par hasard, on sait pourquoi on y revient.
Texte: Seb Gardies et Gautier Rast, photos: Benoît Vollmer.
Quelques extraits vidéos ici -> http://www.arolla.org/teaser.php