Nouvelliste du 11.08.11 - Une petite Haute Route

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arollablabla
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  Nouvelliste du 11.08.11 - Une petite Haute Route

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Une petite Haute Route

Entre Zermatt et Arolla, un tunnel de 25 kilomètres traverse la montagne pour acheminer l'eau des glaciers au barrage de la Grande Dixence.

La plus grande rivière souterraine de Suisse? Elle coule à 2400m d’altitude, entre Zermatt et Cheilon, à l’ouest d’Arolla. C’est le grand collecteur, un tunnel de 25km qui alimente en eau le barrage de la Grande Dixence. En ce moment, il est rempli jusqu’au plafond, avec un débit de 80 m3 à la seconde – l’équivalent du Rhône à Sion en hiver. On ne peut y accéder qu’à la saison froide, lorsque le débit est au plus bas, ce qui permet le contrôle et l’entretien des installations. Cette visite se déroule fin mars, deux semaines avant la remise en eaux.

C’est l’entrée la plus panoramique du monde: vue plein pot sur le Cervin et la Dent-d’Hérens. Pourtant, ce cube de planches et de béton niché en pleine falaise n’a rien d’une attraction touristique: accès réservé aux employés. On y accède par un tout petit télécabine d’entreprise, non loin de l’usine de pompage de Z’Mutt, au-dessus de Zermatt. Passer la porte du grand collecteur, c’est oublier jusqu’à l’idée même du soleil. Une galerie de roche brute, des stalactites de glace qui pendent du plafond... Une centaine de mètres à pied, puis, derrière une porte métallique, une jeep blanche qui attend dans un boyau à peine assez large pour tourner. Comment elle est arrivée ici? Comme nous: en télécabine. Mais suspendue en dessous.

Le tour de la Terre

Casque de chantier et bottes de caoutchouc, Martial Pralong est déjà tout équipé. Le responsable des prises d’eau de la région d’Hérens pour la société HYDRO Exploitation, qui exploite les installations de Grande Dixence SA, a les yeux couleur glacier et la moustache souriante. L’été, il court la montagne pour entretenir les prises d’eau. Et, de décembre à mars, il fait comme les marmottes: il s’enterre. Pas pour dormir, mais pour inspecter le réseau de tunnels d’amenée d’eau. En vingt ans de collecteur, il en est à de 40000 km en jeep dans les entrailles de la montagne. Presque le tour de la planète...

Avant d’embarquer, cette crème d’homme commence par nous faire signer une décharge («si le plafond s’effondre, on est tous morts, mais bon, ça n’est jamais arrivé»). Et par nous indiquer où sont les masques respiratoires, pour prendre la fuite en cas d’incendie («ça non plus, c’est jamais arrivé»). Le ton est détendu, mais question sécurité, on ne plaisante pas. En voiture! Le sol fait floc floc sous les pneus. Au plus bas du débit, il coule encore 150 litres à la seconde. Pas un rai de lumière, hormis les phares et nos lampes frontales. La main sur le volant, Martial Pralong décrypte l’obscurité. «Là, au-dessus de nous, il y a 1000m de roche: on vient de passer sous Tête-Blanche.» Plus tard, on passera sous la cabane Bertol et tournera sous le Mont-Collon avant de filer vers le Pigne d’Arolla.

Tous les 100 mètres, une plaquette au mur indique le kilométrage. Mais pour se repérer, notre chauffeur observe surtout les murs. Pas deux tronçons qui se ressemblent: parfois c’est la roche brute, parfois recouverte de béton projeté, parfois du béton lisse. La hauteur et la largeur du tunnel varient aussi, entre 3 à 8 mètres de haut, au gré de la qualité de la roche, des difficultés rencontrées, des entreprises qui ont bâti... On imagine le labeur des hommes qui ont creusé ici, tout à la main et à l’explosif.

La jeep s’arrête. Une échelle luisante d’humidité, on grimpe. Le faisceau de la frontale se perd dans la nuit. Ce boyau plus étroit, de l’eau jusqu’aux genoux, est un collecteur secondaire, l’un des nombreux affluents du collecteur principal. «En marchant sur 800 m, vous débouchez sur une fenêtre de sortie. Pile en face de la cabane des Vignettes...»

Nouvelle halte devant un antique téléphone. Prévenir le collègue que tout va bien, qu’on sort dans une demi-heure. Du fond de la nuit, donner signe de vie. La voix de Martial Pralong chantonne en patois évolénard. On n’y comprend rien, si ce n’est la douceur du lien entre les hommes, lorsqu’on est pris au coeur de la montagne.

Vue du dedans

Le brouillard s’épaissit. «Ah, on arrive au PQ...» Sourire en coin. Le point Q, c’est l’endroit où les eaux de pompage d’Arolla rejoignent le collecteur, direction Cheilon et la Grande Dixence. C’est aussi là que nous allons sortir. On bifurque. Le boyau devient si étroit que la jeep passe tout juste, à 10 cm de chaque mur. La voûte, elle, s’envole en hauteur: «Bienvenue dans la chapelle Sixtine...»

Une dernière porte blindée, et la voiture est rangée dans son garage de roche. Les bipèdes gravissent un escalier, et les revoilà dans l’autre monde, celui où il y a du soleil, de l’air pur et des vivants. C’est la sortie P4, elle aussi perchée dans la roche, avec un télécabine sans vitres qui plonge sur Arolla. Et boucle cette haute route Zermatt-Arolla, vue du dedans de la montagne.

Annick MONOD
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